Alors la e-cigarette? Ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas

Un demi-million de Français ont déjà choisi d’abandonner pour tout ou partie le tabac grâce à cette nouvelle cigarette. Après s’être longtemps totalement désintéressés du sujet, les pouvoirs publics se réveillent. On attend les réponses. La cigarette électronique est-elle dangereuse? Est-elle efficace? Est-ce un médicament?

«La cigarette électronique? Vous faites erreur, voyez ailleurs.» Jusqu’à ces dernières semaines, le journaliste qui s’intéressait à ce phénomène croissant de société était gentiment éconduit. Hormis les fabricants et les utilisateurs, le sujet ne concernait personne. Ni les ministères ni les agences sanitaires a priori concernés.

Ce n’est plus tout à fait le cas. La ministre de la Santé Marisol Touraine a fait savoir qu’elle avait demandé une enquête. La sénatrice (UDI) Chantal Jouanno annonce qu’elle entend obtenir l’ouverture d’une mission d’information. Jusqu’à Marine Le Pen qui laisse dire qu’elle est personnellement séduite par ce procédé qui, pour l’heure, lui a permis d’en finir avec sa dépendance au tabac.

Jusqu’à preuve du contraire, les autorités sanitaires françaises «déconseillent» la cigarette électronique alors qu’un demi-million de personnes y ont actuellement recours et que le marché se développe rapidement en dehors de tout contrôle sanitaire.

La dernière manifestation de la puissance publique sur le sujet date du 30 mai 2011 et elle émanait de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Une situation assez paradoxale puisque la cigarette électronique était tout, sauf un médicament. L’ANSM recommandait ainsi de ne pas consommer un produit que les pouvoirs publics laissaient par ailleurs en vente libre. On pourrait voir là une incurie faisant le lit d’un futur scandale de santé publique.

Pour sa part, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dit ne pas être saisie de la question et renvoie vers l’ANSM. Laquelle fait valoir qu’elle ne saurait traiter de cette question puisque les fabricants n’ont pas déposé de demandes d’autorisation de mise sur le marché; marché qui peut ainsi développer ses volutes à travers les mailles étrangement relâchées de l’administration sanitaire et fiscale. Quant au réseau de distribution, les pharmacies étant exclues, il se développe dans de nouvelles échoppes spécialisées ainsi que chez les buralistes, par ailleurs distributeurs officiels des produits du tabac.

Double cache-sexe

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les principales associations de lutte contre le tabac ne soutiennent nullement le recours à ce procédé souvent utilisé pour tenter d’en finir avec la dépendance tabagique. «Plus ou moins sectaires, elles redoutent que la diffusion de la cigarette électronique ne soit une sorte de double cache-sexe, confie un responsable de l’administration sanitaire soumis au devoir de réserve. D’abord en ne réalisant pas une vraie rupture avec la gestuelle et l’inhalation de la consommation de tabac, ce procédé ne marque pas la rupture radicale qu’elles prônent, seul acte libérateur selon elles vis-à-vis de cette drogue. Ensuite, en facilitant le contournement de la réglementation en vigueur interdisant la consommation de tabac dans les lieux et espaces publics.» De fait, rien n’interdit aujourd’hui l’usage de la cigarette électronique là où la cigarette tabagique est interdite.

Quant aux médecins spécialistes, c’était jusqu’ici le grand flou, comme en témoignait il y a peu cette déclaration à l’AFP du Pr Bertrand Dautzenberg, spécialiste de pneumologie (groupe hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, Paris) et président de l’Office français de prévention du tabagisme (OFDT):

«En tant que médecin je ne peux pas recommander la cigarette électronique. Mais je laisserais faire un gros fumeur qui veut s’y mettre. Avec la cigarette, c’est 50% de chances de se tuer. Avec la cigarette électronique, on ne sait pas trop mais, a priori, c’est moins.»

Le Pr Dautzenberg devrait bientôt en savoir plus. Car c’est précisément à l’OFDT que Marisol Touraine a choisi de confier la rédaction d’un rapport sur le sujet.

«Il s’agira d’effectuer une revue scientifique internationale sur la qualité et l’usage des cigarettes électroniques ainsi que sur leur réglementation», a-t-on précisé à Slate.fr dans l’entourage de la ministre. En pratique, cette revue bibliographique visera trois objectifs.

1. Définir la place de la cigarette électronique dans la prise en charge du sevrage tabagique. Ces cigarettes devront-elles être considérées comme un médicament et donc disposer d’une autorisation de mise sur le marché?
2. Si ces produits sont d’usage courant, quelle quantité maximale de nicotine peut-elle être autorisée?
3. D’un point de vue juridique, la cigarette électronique est-elle considérée comme produisant une «fumée» et peut-elle être autorisée dans les lieux publics? En clair y a-t-il ici aussi un risque de tabagisme passif?
«Au vu des résultats qu’elle obtiendra, Marisol Touraine décidera des suites à donner à ce dossier», ajoute-t-on. Dans l’attente, on peut raisonnablement supposer que l’OFDT rencontrera quelques difficultés à donner à la «revue scientifique internationale sur la qualité et l’usage des e-cigarettes» qui lui est demandée une véritable dimension et valeur scientifiques. Contrairement à ce qui est apparu dans la controverse sur les organismes végétaux génétiquement modifiés (OGM), ce n’est pas la qualité des études toxicologiques qui est en cause. Mais bien leur absence.

Quels sont les principaux éléments du dossier de la cigarette électronique (ou e-cigarette)?

Son invention

Après une tentative de l’Américain Herbert Gilbert en 1963, l’invention de la première e-cigarette revient au Chinois Hon Lik en 2003 (brevet international en 2007). La seconde génération, qui a remplacé les ultrasons par l’électricité pour la vaporisation, a été mise sur le marché par un autre Chinois, David Yunqiang Xiu en 2008 et breveté en 2009.

Près de dix ans après cette innovation, la récolte d’informations scientifiques reste bien maigre.

Son usage

Le gouvernement français avance le chiffre, peut-être sous-estimé, de 500.000 utilisateurs de l’e-cigarette en France. Aux Etats-Unis, une étude publiée le 28 février 2013 par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) montre qu’en 2011, 21% des adultes fumeurs de tabac avaient eu recours à l’e-cigarette. Sur l’ensemble des adultes, 6% l’avaient essayé, soit un doublement par rapport à 2010. Alors que 40% des adultes connaissaient son existence en 2010, ils étaient 60% en 2011.

«Si un grand nombre de fumeurs adultes deviennent des utilisateurs à fois des cigarettes traditionnelles et des e-cigarettes, plutôt que d’utiliser les e-cigarettes pour arrêter complètement la cigarette, l’effet net pour la santé publique pourrait être tout à fait négatif», note Tim McAfee, directeur du bureau sur le tabac et la santé au CDC. Avant de reconnaître son manque de données sur le sujet:

«L’usage de la e-cigarette augmente rapidement. Il y a encore beaucoup de choses que nos ignorons sur ce type de produit, y compris s’ils font croître ou décroître l’usage des cigarettes traditionnelles.»

Sa toxicité

La plupart des analyses notent que l’e-cigarette devrait être moins nocive du fait de l’absence d’un grand nombre des produits toxiques présents dans la fumée de tabac, comme le monoxyde de carbone et les goudrons.

Néanmoins, l’évaluation de la toxicité à long terme de la vapeur de propylène glycol et de glycérine, les produits vaporisés, reste à mesurer. Ces deux substances sont utilisées dans l’alimentation. Le propylène glycol sert d’émulsifiant dans les sauces et assaisonnement et de solvant dans les arômes liquides. Il est utilisé aussi dans les «machines à fumée» pour les spectacles, et comme antigel, aspergé sur les ailes d’avions ou injecté dans les pompes à chaleur.

La glycérine, ou glycérol, est un produit également utilisé comme additif alimentaire (E422) comme humectant, solvant, émulsifiant, stabilisant et épaississant. Il donne également au vin son onctuosité. On le trouve aussi dans la nitroglycérine, les bulles de savon, la cellophane, les antigels, les fumigènes, les lubrifiants intimes…

Propylène glycol et glycérine ne peuvent être considérés comme toxiques dans la mesure où ils entrent dans l’alimentation. Cependant, leur inhalation sous forme de nano-gouttelettes dans les poumons, via les e-cigarettes, n’a pas été étudiée sur le plan médical, surtout pour ses effets à long terme.

La nicotine

Découverte en 1809 et isolée en 1828, la nicotine doit son nom à Jean Nicot qui a introduit le tabac en France en 1560. A forte dose (30mg à 60mg en fonction du poids de l’individu), elle est mortelle pour l’homme.

Les études qui la désignent comme cancérigène ont été réalisées dans le cadre du tabac. En tant que produit isolé, il semble ne pas exister d’études épidémiologiques sur l’homme, en dehors des femmes enceintes sur lesquelles il a été démontré que la nicotine provoque un manque d’alimentation en oxygène du fœtus (ADHD) qui peut conduire à des complications de la grossesse, des naissances prématurée ou des bébés handicapés. Sur l’animal, un effet cancérigène a été détecté.

Néanmoins, la nicotine est utilisée pour différents traitements thérapeutiques comme le sevrage du tabac. Ses propriétés de protection du cerveau contre les maladies d’Alzheimer et de Parkinson ont été relevées par plusieurs études. Elle serait également bénéfique contre la dépression, les syndromes d’hyperactivité et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).

Le «vapotage» passif

C’est la grande question de ce dossier. La réponse est liée à celle qui concerne la toxicité vis-à-vis des utilisateurs d’e-cigarette. En effet, une étude a montré que l’on retrouve dans l’atmosphère d’un lieu fermé certains composants provenant de l’évaporation des produits utilisés, c’est-à-dire des composés organiques volatils (COV). Aucune émission de formaldéhyde n’a été mesurée.

Tobias Schripp, chercheur au Fraunhofer WKI, note que les émissions de COV provenant des e-cigarettes «sont inférieures à celles des cigarettes classiques». Du propylène glycol vaporisé a été détecté dans l’air ambiant ce qui démontrer qu’un vapotage passif existe bien.

Toute la question est de savoir quel danger cela induit pour ceux qui y sont exposés. Seule une étude de toxicité de la vapeur de propylène glycol et de glycérine peut répondre à cette question. Aussi bien pour les utilisateurs d’e-cigarettes que pour ceux qui inhalent la vapeur présente dans l’atmosphère.

La qualité des produits

L’absence de contrôle qualité rigoureux est souvent pointé par les quelques études menées sur les e-cigarettes. Les carences scientifiques et règlementaires ne peuvent que favoriser une telle situation. Il semble même difficile d’évaluer précisément la quantité de nicotine parvenant au cerveau des utilisateurs, ce qui est un point crucial important en matière de sevrage tabagique.

Il serait également indispensable de contrôler la composition exacte des liquides de «vapotage» afin de vérifier l’absence d’autres substances que celles annoncées par les fabricants.

Le rapport demandé devrait être remis courant mai à la ministre de la Santé…

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